La bataille des hôtels : le monde est passé par là


Beyrouth a attiré depuis les années soixante les regards du monde entier. Elle est devenue « la grande Dame du monde » selon les paroles du poète Nizar Kabbani. Elle recevait les visites des rois et des présidents, des célébrités, des grandes fortunes et des espions, des touristes et des étudiants. Elle était devenue également une sorte de canal de Suez des devises étrangères, surtout depuis que les pétrodollars des pays du golfe y ont trouvé leur chemin vers ses banques. Elle accueillait en outre de nombreux ressortissants égyptiens et syriens de classes favorisées fuyant les nationalisations dans leur pays. Des hommes politiques et des intellectuels arabes de l’opposition y trouvaient également refuge . Puis les grands hôtels sont apparus. Ils étaient peu nombreux auparavant, le Saint Georges étant l’un des plus prestigieux, le Phoenicia ayant ensuite été construit, puis l’imposant Holliday Inn . Ils peuvent être considérés comme le joyau de la façade maritime, même s’il existe aussi des hôtels ailleurs, dans les nouveaux quartiers de la ville. Un samedi noir de la guerre de 1975 a toutefois jeté un mauvais sort à ces hôtels comme au pays tout entier. Avec l’affaiblissement de l’Etat , la loi de la jungle avait prévalu à la place du droit, laissant libre au cours aux instincts les plus vils. Découvrant que son fils, disparu depuis des mois, avait été tué, un citoyen a été saisi d’une soif de vengeance. Avec un certain nombre d’amis en colère, il a dressé un barrage près de la maison du parti des Phalanges, les Kataëb, dans le quartier de Saïfi. Ils y ont assassiné près de deux cents citoyens, sur la base de leur religion (qui était alors inscrite sur leur carte d’identité), la plupart étant des ouvriers du port. Le coupable a raconté son histoire en disant « je suis la victime et le bourreau » . Le parti des Kataëb a ensuite déclaré que des membres incontrôlés avaient un commis un crime de vengeance. Il a assuré que ses dirigeants avaient tenté d’arrêter la tragédie.Mais ses adversaires, du « mouvement national libanais » conduit par Kamal Joumblatt et des organisations palestiniennes n’ont pas accepté cette version. Ils ont accusé le parti d’avoir organisé le massacre pour susciter une réaction confessionnelle des musulmans contre les chrétiens. Ils ont décidé de réagir au samedi noir en menant la bataille des hôtels . Ils ont choisi ce quartier pour deux raisons : 1- Le fait que de nombreux membres des Kataëb y étaient présents, et qu’ils y avaient installé des postes de combat dans des bâtiments élevés, dont le Holiday Inn. 2- Le but était d’empêcher les Kataëb de parvenir jusqu’à la rue Hamra, où se trouve la Banque du Liban. Les membres des Kataëb se sont retirés jusqu’au siège de leur parti, à Saïfi. La bataille s’est terminée par des hôtels en ruine, livrés à un pillage qui s’est également étendu aux banques, aux magasins, et aux habitations du centre-ville. Une série d’actions et de réactions s’en est suivie, avec des combats, des massacres, des enlèvements et des meurtres sur la base de la religion. Aujourd’hui ce quartier tente de retrouver son passé, en harmonie avec le centre-ville dont il est le prolongement. Mais en dépit de la restauration d’un certain nombre d’hôtels et de bâtiments, les traces de la guerre sont toujours visibles, notamment sur le Holiday Inn, qui se dresse comme un rappel de la guerre et de ses conséquences.
