Tayyouneh, bien plus qu’un rond-point :


On se trompe si l’on considère, en raison des embouteillages et de leur désordre, que Tayyouneh est un simple rond-point, à l’intersection de routes très fréquentées reliant Beyrouth, la banlieue sud et Aïn el-Remmaneh. Depuis qu’une cérémonie en l’honneur du premier gouverneur de la province autonome du mont-Liban , (la Moutasarrifiyya) y a été organisée en 1861, cette place a revêtu un caractère important et parfois périlleux. On compte ainsi, parmi les événements qui s’y sont produits, la mort des huit manifestants abattus alors qu’ils se dirigeaient vers le Palais de justice en protestation contre l’enquête sur l’explosion du port, le 14 octobre 2021. C’est de là qu’est partie aussi l’étincelle de la guerre qui a embrasé le pays, le 13 avril 1975 . Quelques minutes après son passage et son entrée à Aïn el-Remmaneh, un bus transportant des Palestiniens vers le camp de Tell el-Zaatar a essuyé des tirs qui ont fait plusieurs morts parmi les passagers. Selon la rumeur, il s’agissait d’une réaction à une tentative d’assassinat contre le chef du parti des Kataëb, Pierre Gemayel, le même jour. Très vite, le rond-point s’était transformé en ligne de démarcation entre Beyrouth-Ouest et Beyrouth-Est. Pour autant, il n’a jamais cessé d’agir comme un aimant. En raison de sa proximité du palais de justice, des institutions publiques, de l’hôpital militaire de Badaro et de l’hippodrome, il était un point de passage obligé des hommes politiques, des juges, des fonctionnaires, des militaires, des commerçants, des amateurs de courses hippiques… et des simples citoyens. Les bois de Beyrouth, à proximité, ont été transformés en champ de mines. La commission d’enquête mise en place par le gouvernement a reconnu l’existence d’une fosse commune sur ce terrain, ainsi que celle de trois autres : à Mar Mitr, dans le quartier d’Achrafieh ; dans le cimetière anglais de Tahouita ; et en mer, où certains cadavres ont été jetés. La commission a déclaré qu’« il était difficile d’identifier les corps enterrés ». Elle a considéré que « toutes les personnes enlevées ou disparues étaient présumées décédées ». Mais le Comité des parents des personnes enlevées ou disparues au Liban poursuit son action pour faire toute la lumière sur ce dossier, avec pour devise « Se rappeler, pour que cela ne se reproduise plus ». Le comité estime que l’État a eu tort de clore ce dossier humanitaire, d’une manière inique pour les personnes disparues ou enlevées ainsi que pour leurs familles . En dépit de toutes les épreuves que les bois de Beyrouth et le rond-point de Tayyouneh ont traversées, ils continuent de représenter un trait d’union. Un théâtre coopératif installé sur le rond-point a d’ailleurs pris le nom de « Dawar el-Chams », appellation qui renvoie à la fleur lumineuse et tournoyante du « tournesol ».
